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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 13:11

L’aventure du capitaine

Cette interview de Jean Pétré sur son arrestation et son séjour au camp de Buchenwald a été réalisée par le Lieutenent Galy. Elle est parue dans l’Alpin du 141, bulletin de l’Amicale régimentaire du 141e RIA, n°29, septembre 1945. NDLR en 2010 : le texte original, issu de notes prise au vol et parfois fort allusives ou difficilement compréhensibles, a été légèrement modifié, tout en veillant au respect absolu du contenu.

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Notre capitaine est, paraît-il, trop occupé pour écrire dans l’Alpin et raconter sa dramatique histoire. Heureusement pour nous, s’il n’écrit pas, il parle. Il n’a rien perdu de son talent de conteur. Il affirme (et on le comprend bien !) qu’il désire oublier des souvenirs trop affreux, mais ses alpins ont le droit d’être curieux. Voici pour les satisfaire, quelques morceaux des vivants récits recueillis autour d’une table de l’Amicale.

L’arrestation

Quelques jours avant moi, un Résistant impliqué dans la même affaire avait été arrêté: je comprenais qu’il fallait me cacher, mais j’avais encore à faire un voyage à Nice. Au retour, je voulais voir un [membre de l’AS] pour une opération de parachutage. Je lui donnais rendez-vous à l’Amicale le dimanche 4 juillet 1943. Je comptais disparaître immédiatement après.

Je me méfiais tellement que j’avais mis un mot (1) à l’Amicale pour cet homme : «Si je ne suis pas là à onze heures, filez». Hélas, il n’a pas filé et s’est fait prendre. J’arrive donc devant la rue Frédéric-Chevillon. Je vois au coin du Chapitre une automobile, avec un homme à côté; je me dis : «C’est louche». J’avance dans la rue. Au coin de la rue du Coq, deux autres types arrêtés : «Compris!», je vais faire demi-tour. Trop tard. Je sens une main sous mon bras, armée d’un révolver : «Vous êtes arrêté, monsieur!»

Il me fait revenir vers l’auto. Je réfléchis sans perdre de temps : «Je peux filer». D’une bourrade, je me débarrasse du gardien et fais tomber son revolver par terre. Naïf, il se baisse pour le ramasser. Pendant ce temps, je bondis derrière l’autre, j’ai le temps de voir la tête du chauffeur ahuri ! Hélas, il y avait deux autres types que je n’avais pas vus, cachés derrière les arbres du Chapitre. Ce sont ceux-là qui m’ont «eu».

Ils me font monter dans l’auto. A côté de moi, quelqu’un… que j’avais connu dans la Résistance, qui avait une demi-douzaine d’attentats à son actif, avant de changer. Je l’engueule : «Tu fais un sale boulot !» Il ne peut que répondre : «Ça s’arrangera».

[Pendant ce temps, la Gestapo intervient au siège de l’Amicale, 16 rue Frédéric-Chevillon et arrête le contact de Jean Pétré, ainsi que dans la rue, Pietri, baptisé par la Gestapo, son «garde du corps».]

La Gestapo perquisitionne à mon domicile, elle n’a rien trouvé.

 

Tortionnaire 2 Echeverria[1]

Le Tortionnaire, sculpture Jesus Echeverria 

 

Interrogatoires

Lieut. Galy : A la Gestapo, rue Paradis, on vous a frappé ?

Jean Pétré : Oui… enfin pas trop ! Ce qui  était un peu gênant, c’est que pendant tout le temps, un type appuyait un revolver sur ma tempe, et que ce type est constamment saoul. C’était désagréable. Voici  la teneur de ce dialogue agité.

-       Vous aviez un rendez-vous à  L’Amicale ?

-       Non.

-       Vous aviez rendez-vous… (avec argument frappant).

-       Oui.

-       Avec qui ?

-       Je ne sais pas.

-       Comment ???

-       Oui ! Et avec l’air le plus innocent du monde : que voulez-vous, tout le monde croit que l’Amicale est un centre de Résistance. On me demande d’y entrer dans ce but. On me demande des rendez-vous. Je suis bien obligé de les accepter pour détromper les gens !

 

Et bien, cela a impressionné la Gestapo, d’autant qu’à ce moment-là, ils savaient peu de chose sur moi. Je me suis fichu de leur gueule. Je leur disais : ‘Ça n’existe pas l’Armée secrète ! Vous êtes à la poursuite d’une chimère ! Vous ne voyez pas que c’est ridicule ! Je vous trouve comique !’

Le mot n’a pas plu à mon Delage. Le jour de mon départ de Marseille, il m’a dit d’un ton détaché : ‘Vous ne nous aviez pas dit que vous étiez chef régional…’ et en me fichant une baffe : ‘C’est toujours comique, n’est-ce pas ?’ Heureusement, Delage est aujourd’hui sous les verrous. Je lui disais aussi : ‘Vous êtes fichus, fichus ! Vous ne le voyez pas ?’ Il m’a répondu : ‘Ça ne fait rien, on recommencera dans dix ans !’

 

Dunker Delage Ernest 2

  Photo anthropométrique d'Ernest Dunker-Delage lors de son arrestation. Condamné à mort le 24 février 1947 par le tribunal militaire de Marseille, il fut exécuté le 6 juin 1950. Le procès-verbal de son interrogatoire par le colonel Pétré après la Libération, figure dans ce blog, dossier "Crimes de guerre ennemeis, documents d'enquête".  

 

 

Le dernier voyage

 

Prison Saint-Pierre, Fresnes, Compiègne… Là-bas, c’était presque bien. Dire qu’ils vous faisaient trouver agréable le départ pour l’Allemagne ! Le départ : nous étions 120 par wagons de 40, avec chacun ses bagages. Tous debout, serrés les uns contre les autres, de tous les âges, de tous les genres. Près de moi, le beau-frère du général de Gaulle, un vieillard de 70 ans, le vicaire général de Dax. Nous n’avons rien eu à manger ni à boire durant tout le voyage, par un froid glacial, nous étions en janvier 1944.

Avec d’autres prisonniers, nous avions décidé de tenter de nous échapper. Le wagon était plombé, mais avec la complicité de gardiens, nous avions quelques outils pour scier les parois. Patiemment, nous sommes parvenus à faire un trou par lequel on pouvait se glisser. Nous avons tiré au sort l’ordre de sortie, j’avais le numéro 11. Nous avons commencé, 4, 5, 6… sont passés. Par le trou, ils passaient d’abord les jambes et le derrière, se tenaient accrochés, par les mains, puis se lâchaient en se lançant en arrière. Au septième, nous voyons le type agité par des secousses incompréhensibles, puis lâcher. Que se passait-il ? Au wagon de devant, les SS avaient vu les évasions et par la portière, ils canardaient le pauvre type.


 

Embarquement pour Compiègne 1

 

Embarquement de prisonniers dans des wagons à bestiaux par l'armée allemande et des policiers français, à Marseille en 1943. Extrait du livre "Marseille 1942-1944, Le regard de l'occupant" par Ahlrich Meyer, Edition Temmem.


 

Ce fut pareil pour le huitième, le neuvième… le dixième s’est désisté et moi aussi. Ce n’est pas tout. A l’arrêt suivant, la porte s’ouvre, les SS sont là et tirent dans le tas. Le chef fait ensuite descendre dix types. Je l’entends en allemand, crier : « Des jeunes ! » Ils les font mettre complètement à poil et ils s’en vont. On ne les a plus revus… fusillés certainement.

Nous repartons. Dans le wagon, il n’y avait pas de tués, seulement des blessés. A la frontière, nouvel arrêt. Les Allemands nous donnent l’ordre d’enlever tous nos vêtements, nos souliers et de laisser nos bagages sur place. Ils nous font descendre, puis nous font remonter dans un autre wagon, toujours aussi serrés.

Nous avons fait ainsi le reste du trajet pendant deux jours et deux nuits, avec le froid de janvier. Sans manger ni boire, la soif surtout était terrible, des types en devenaient fous. Trois d’entre nous sont morts A l’arrivée, on nous a fait sauter tout nus dans la neige et nous avons gagné le camp à plusieurs centaines de mètres de là.

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  • : Colonel Pétré, la Résistance à Marseille
  • : Biographie du Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Pétré, chef régional de l'Armée Secrète AS à Marseille. Archives de l'AS, de la déportation, de l'épuration. Campagne de France et Résistance durant la 2ème guerre mondiale.
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