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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 20:41

Arrestation par la Gestapo de Marseille

du colonel Jean Pétré,

chef régional de l’Armée Secrète,

 le 4 juillet 1943

 

Témoignage de Pierre Duny-Pétré

 

Chapitre I.

De 1940 à 1943 ou l’effondrement de l’Armée Secrète

 

Après l’Armistice de 1940, le capitaine de réserve Jean-Baptiste Pétré s’était retiré chez lui à Marseille. Ancien commandant de compagnie au 141è Régiment d’Infanterie Alpine, ses soldats l’avaient nommé à l’unanimité, président de leur amicale, en raison de sa conduite glorieuse pendant la guerre, ainsi que pour ses qualités exceptionnelles d’entraîneur d’hommes. Il faut savoir que le 141è RIA n’avait pas été fait prisonnier par les Allemands et qu’il était toujours resté face à l’ennemi, jusqu’à l’arrivée de Pétain au pouvoir. D’ailleurs, le 18 juin 1940, répondant à l’appel du général de Gaulle, le capitaine Pétré avait créé clandestinement, au sein de son amicale, deux bataillons d’infanterie destinés à épauler l’armée d’armistice, dans l’éventualité encore incertaine des futurs combats de libération.

A cette époque, beaucoup de gens croyaient encore que le maréchal Pétain n’attendait que l’occasion de s’opposer ouvertement aux forces d’occupation germano-italiennes. Malheureusement, comme chacun sait, on attendit en vain. Tous les espoirs furent déçus et ce fut la Collaboration.

Grâce à des hommes tels que Jean Moulin et le général Charles Delestraint, une résistance armée fut bientôt organisée sur le territoire métropolitain. C’est ainsi que naquit l’Armée Secrète ou AS. Pour le Sud-Est de la France, le capitaine Pétré fut chargé par le général Delestraint de créer les premiers maquis de cette armée clandestine. Il prit alors le nom de chef de la région 2 et fut promu au grade de commandant puis de colonel. Mais tout était à faire en 1942. Les combattants clandestins de toutes provenances et de tous âges, furent instruits et organisés militairement dès les premiers mois de l’été. Au début, ces hommes ne formaient que des groupuscules et l’on ne parlait encore que de commandos, étant donné leurs maigres effectifs et la nomadisation continuelles des « bandes terroristes » qu’ils représentaient pour la police de Pétain.

Le matériel de guerre était plutôt rudimentaire et ne pouvait convenir qu’à des opérations nocturnes de faible envergure. Il s’agissait principalement de fusils de chasse, de pistolets automatiques et d’explosifs dérobés dans des carrières. Bientôt, les vols chez les armuriers commencèrent à se multiplier ainsi que divers attentats contre les troupes d’occupation, ils rapportèrent quelques armes de guerre avec leurs munitions.

Par la suite, étant donné le nombre croissant de réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne), les maquis prirent davantage d’ampleur et les refuges qu’ils représentaient pour beaucoup de jeunes gens, formèrent une chaîne qui s’étendait depuis le massif du Lubéron jusqu’aux Alpes de Haute Provence. Les premiers parachutages d’armes en provenance d’Angleterre eurent lieu sur les montagnes qui dominent Digne et notamment dans la vallée des Dourbes. Malheureusement, au printemps 1943, tout allait s’effronder à la suite de trois événements majeurs.

Le 9 juin 1943, le général Charles Delestraint, alias Vidal, était arrêté au cours d’un voyage à Paris. Commandant en chef de l’AS sur le plan national, il fut torturé par la Gestapo et déporté au camp de concentration de Dachau. D’après les témoignages de survivants, son attitude fut exemplaire et suscita l’admiration de tous ceux qui l’ont connu. Soldat de métier, le général refusa obstinément de s’humilier devant ses ennemis. Il continua à revendiquer son grade de commandant d’armée, fut-elle clandestine. Les SS du camp se conduisirent comme des barbares qu’ils étaient et finirent par le fusiller, complètement nu, à quelques pas du four crématoire de Dachau. C’était le 19 avril 1945.

Le 21 juin 1943, Jean Moulin, alias Max, était capturé près de Lyon, à Caluire. Ancien préfet de la République, il avait été chargé par le général de Gaulle d’unifier tous les mouvements de la Résistance intérieure française. Il fut trahi et arrêté lors d’une réunion où l’on devait précisément désigner le nouveau chef national de l’Armée Secrète, le général Delestraint venant d’être arrêté par la Gestapo. Torturé par les SS de Klaus Barbie, chef de la police allemande à Lyon, il mourut au cours de son transport à l’hôpital.

Le 4 juillet 1943, le colonel Jean Pétré, alias Chardon, était arrêté à Marseille. Interrogé et torturé dans l’immeuble occupé par la Gestapo, 425 rue du Paradis, il fut d’abord incarcéré à la prison Saint-Pierre de cette ville. Par la suite, on l’interna dans la Centrale de Fresnes, pour être finalement déporté en Allemagne au camp de Buchenwald. Contrôleur principal des PTT dans le civil et capitaine de réserve depuis 1937, il avait été mobilisé en 1939 pour commander la 6e compagnie du 141e régiment d’Infanterie Alpine. Les Allemands ignoraient que le général Delestraint l’avait nommé colonel, chef de l’Armée Secrète pour le Sud-Est de la France, cela lui sauva certainement la vie.

 

Arrestation Jean Pétré 1 

Arrestation Jean Pétré 2

Arrestation Jean Pétré 3

Rapport du commissaire principal Leblanc le 10 juillet 1943 sur l'arrestation de Jean Pétré

 

Chapitre II.

La Gestapo dans ses œuvres, un rendez-vous fatal

 

 

Le dimanche 4 juillet 1943 à Marseille, vers dix heures du matin, mon oncle Jean Pétré, président de l’amicale régimentaire du 141e RIA et demeurant 7 rue Pierre Puget, se rendait comme d’habitude à pied, au siège de cette association, 16 rue Frédéric Chevillon. Mais ce jour-là, je devais l’attendre à la sortie, car nous étions invités chez un de ses soldats, dans les environs de la ville. Bien manger et se détendre à la campagne, c’était miraculeux en 1943!

La rue Frédéric-Chevillon descend du quartier Saint-Charles pour aboutir au cours Joseph-Thierry, d’où partait le tramway que nous devions prendre. Un peu avant midi, j’attendais donc comme convenu, au bas de cette rue, en faisant les cent pas sur le large trottoir du cours. Le temps était magnifique, cependant les minutes s’écoulaient et l’inquiétude me gagnait peu à peu. Que diable pouvait faire mon oncle dans cette amicale, alors que nous étions invités?

C’est alors que je me rendis compte de la présence d’une voiture Citroën noire de type traction avant, qui venait de s’arrêter tout doucement au bord de mon trottoir. Mauvais signe… Ce genre de véhicule était couramment utilisé par les commandos de la police allemande. Néanmoins, mon premier réflexe fut d’agir comme si je n’avais rien remarqué. Ce qui s’est passé en moi à cet instant précis est difficile à expliquer. Ce genre d’état d’alerte produit un effet bénéfique, la pensée étant alors absorbée par un seul problème qu’il faut à tout prix résoudre d’urgence. Donc il n’y a pas de place pour la frayeur paralysante, le calme et la présence d’esprit s’imposent d’eux-mêmes. On peut donc observer ce qui se passe autour de soi et se préparer en vue d’une réaction immédiate.

Dans une telle situation, il fallait en premier lieu se garder d’avoir l’air trop dégourdi ou trop intelligent et donc dangereux, en présence d’un adversaire qui observe, afin d’endormir autant que possible la surveillance dont on est l’objet. J’ai donc continué à me déplacer de long en large sur le trottoir. Mais chaque fois que je revenais sur mes pas, je me rapprochais un peu plus de la voiture mystérieuse, avec un air distrait et les yeux dans le vague. Je vis qu’elle était pleine d’hommes, ils se trouvaient là immobiles,  serrés les uns contre les autres. Bientôt, je me rendis compte que mon regard indifférent semblait quand même les gêner, car tout d’un coup, une carte Michelin se déploya contre la vitre du véhicule. Alors je compris qu’à l’intérieur se trouvaient des prisonniers de la Gestapo dont le visage devait être passablement tuméfié. Sans doute mon oncle se trouvait-il là lui aussi, enchaîné, probablement victime d’une dénonciation.

A maintes reprises, je lui avais suggéré de changer périodiquement de résidence et de ne pas suivre trop régulièrement le même itinéraire lorsqu’il circulait à pied dans les rues. Enfin n’aurait-il pas dû se méfier des gens de son entourage qui étaient plus ou moins au courant de ses activités anti-allemandes ? Il existait alors non seulement des traitres, mais aussi des bavards, des vantards et des imbéciles tout aussi dangereux. Mon oncle ne me donnait pas tort, mais il coupait court à toutes mes considérations alarmistes, avec cette phrase magnifique : « Il n’y a rien à faire, mon vieux, moi j’ai besoin d’avoir confiance ! » C’était en effet un homme très sensible sur le plan affectif. Il suffisait de voir dans quelle ambiance chaleureuse se déroulaient les réunions de l’amicale du 141ème RIA. L’attachement que lui témoignaient les anciens Alpins avait quelque chose de magique et de spontané où se mêlaient curieusement la franche camaraderie et le respect que l’on ressent à l’égard d’un chef de guerre incontesté. Malheureusement, malgré les dangers auxquels l’exposait son activité clandestine, il avait trop tendance à offrir sa sympathie ou même son amitié, à n’importe qui. Son optimisme imperturbable ne le quittait jamais, même au milieu des situations les plus désespérées. Et c’est peut-être là que résidait sa force.

A présent, il était trop tard pour lui. C’était  donc à moi de jouer puisque j’étais encore libre. Mais la moindre faute de manœuvre m’était interdite.

 

Chapitre III. La descente de la Gestapo

au n° 16 de la rue Frédéric Chevillon

Tranquillement et les mains dans les poches, je ne changeais rien à mon genre de promenade. Mais tout comme je l’avais fait pour la Citroën traction avant noire, je me rapprochais de plus en plus de la rue Frédéric Chevillon, en haut de laquelle se trouvait le siège de l’amicale du141e Régiment d’Infanterie Alpine. Il fallait absolument que je donne l’alerte ou tout au moins que j’essaie. Hélas, je n’étais pas plutôt engagé dans cette rue, que je sentais obscurément qu’une sorte de mécanisme venait de se déclencher derrière moi. Bientôt, j’entendis le bruit d’une galopade. Je ne me retournai pas et continuai à marcher sans me hâter. Et tout d’un coup, vlan! Je fus bousculé et poussé en avant, tandis que le canon d’un pistolet s’enfonçait dans mon dos. Comme je ne réagissais toujours pas, mon agresseur se mit à hurler, avec un magnifique accent marseillais : «Sors tes mains des poches, beau jeune ! Et plus vite que ça!» Peut-être me croyait-il armé. C’est son accent méridional et familier qui m’impressionna le plus car je m’attendais à quelque chose de nordique !

Mon adversaire me poussait toujours devant lui et je m’aperçus qu’il était accompagné de deux «collègues» qui avaient des gueules plutôt patibulaires. Ils n’étaient sûrement pas du midi, ceux-là! Et puis ils ne disaient rien. Tandis que nous approchions du numéro 16 dont la porte était largement ouverte, j’avais remarqué que le haut de la rue était occupé par un drôle de citoyen qui balançait négligemment une mitraillette au bout de sa main droite. Mais un grand coup de pied au derrière interrompait mes contemplations, et j’atterrissais aussitôt dans le local de l’amicale, parmi les consommateurs attablés comme dans un bar, et qui plaisantaient en riant bruyamment. Mon marseillais me poussa encore vers l’intérieur, tout en gueulant: «Police allemande! Tout le monde debout et les bras en l’air!» Dans sa main, il tenait toujours son revolver de fort calibre.

Etant donné l’accent et l’aspect débonnaire du bonhomme, personne n‘avait bougé dans la salle. Persuadés qu’il s’agissait d’une bonne blague, tous les gars éclatèrent de rire. C’est alors que les choses se gâtèrent. Le Marseillais cria encore plus fort son commandement. Il lâcha mon bras, se précipita vers le comptoir en tirant un coup de pistolet au plafond, tandis qu’un grand escogriffe qui l’accompagnait, fonçait vers le fond du local pour s’adosser au mur et «braquer» tout le monde avec une mitraillette. C’était une vraie scène de western. Une scène qui n’avait duré que quelques secondes.

 

203 Siège du 141e RIA

Au siège de l'amicale régimentaire du 141e RIA (cliché postérieur à la 2è guerre mondiale).

 

La situation devenait sérieuse. Lentement, les consommateurs levèrent les bras et se mirent debout, en observant d’un œil curieux mon énergumène. Par la suite, j’ai su qu’il s’agissait d’un nommé Tortora, un genre de « gorille » qu’on appelait Antoine, trapu, large d’épaules, ancien boxeur, d’origine corse (1). C’était donc lui le chef de l’expédition, car il se mit encore à crier cette phrase surprenant: «Quels sont ceux, ici, qui n’appartiennent pas à l’Amicale?» Il cherchait sûrement certains de nos maquisards qui avaient besoin de contacter le colonel Pétré pour une affaire urgente. Comme personne ne répondait, je me suis avancé en disant: «Moi!» Mais Antoine qui ne m’avait même pas regardé, précisa: «Nous savons qu’il y a ici quelqu’un qui n’est pas de l’amicale. Il porte le ruban de la Croix de guerre 39-40». Au temps de Pétain, c’était un ruban vert strié de noir, car il étant entendu en France, que la guerre était terminée depuis 1940.

Mais tout près de moi, un garçon grand et maigre s’est avancé. Malgré sa tenue de ville, son costume sombre et sa cravate, j’ai reconnu en lui l’officier qui s’occupait des parachutages d’armes. Avant de s’approcher d’Antoine, il avait laissé tomber par terre un bout de papier froissé. Aussitôt, en feignant de bouger pour le laisser passer, j’ai posé mon pied sur ce document. Deux sbires de la Gestapo l’ont appréhendé pour le conduire brutalement vers la sortie. Profitant de la bousculade, je ramassais ce papier que j’enfonçais rapidement entre les coussins d’une banquette. Plus tard, j’appris qu’il s’agissait d’un message écrit par mon oncle, afin d’avertir notre maquisard qu’à partir de 11 heures du matin, il risquait d’être arrêté et qu’il devait quitter les lieux immédiatement. Or, il était déjà plus de midi et le pauvre garçon venait d’être victime de son imprudence.

Quant aux policiers, ils n’avaient rien vu, car ils étaient occupés à choisir cinq ou six otages parmi les amicalistes. D’ailleurs, ils paraissaient nerveux et inquiets, n’étant plus que trois ou quatre en face d’une trentaine d’anciens soldats du 141e RIA. Ils sortirent précipitamment, en poussant devant eux leurs prisonniers. Bien à regret, je faisais partie du groupe et je regardais, à tout hasard vers le haut de la rue. Mais l’homme à la mitraillette était toujours là, flegmatique, attendant sans doute l’ordre de rejoindre le commando. Alors je descendais dans la rue moi aussi, mais en ayant soin de rester toujours derrière les autres. Vieille habitude, hélas.

Nous arrivâmes ainsi au cours Joseph Thierry, près de la gare des tramways qui desservaient la banlieue nord. La voiture noire avait disparu. Les policiers nous alignèrent en bordure du terre-plein bitumé qui servait de quai d’embarquement aux voyageurs. Toujours sous la menace de leurs armes, ils commencèrent à nous fouiller soigneusement de la tête aux pieds, sans doute avec l’intention de nous embarquer dans un fourgon qu’ils semblaient attendre.

 

(1) Antoine Tortora, dit «Antoine le boxeur», membre du SD (Sicherheitsdienst, service de contre-espionnage allemand couramment nommée Gestapo) de Marseille, exécuté à Aix-en-Provence par la Résistance le 17 juillet 1944.

 

Chapitre IV.

Evasion, mais retour volontaire dans la gueule du loup

Toujours fidèle à une habitude devenue instinctive dès qu’il s’agissait d’une fouille à laquelle je désirais me soustraire, je me suis trouvé, comme par hasard, au bout de la rangée, à l’opposé de l’endroit où les Allemands commençaient leur travail. Ainsi, j’avais le temps de voir comment les choses se passaient, de bien réfléchir sur ma situation et de me préparer à agir en conséquence. A présent, j’étais certain que mon oncle n’avait rien révélé, ou qu’il n’avait «avoué» que des choses insignifiantes. Il fallait donc absolument que je m’évade pour arriver à notre domicile avant la Gestapo, afin de camoufler autant que possible, tout ce qui pouvait être compromettant. Je m’en voulais terriblement d’avoir perdu un temps précieux au bas de la rue Frédéric-Chevillon, sans même penser que mon oncle pouvait être déjà arrêté.

Cependant, autour de moi, la foule du dimanche devenait de plus en plus compacte. Les gens qui prenaient le tramway pour se rendre à la campagne, commençaient à affluer vers l’aire d’embarquement. Badauds et curieux s’approchaient de l’étrange groupe que nous formions et même posaient des questions pour demander ce qui se passait, malgré les coups de gueule d’Antoine Tortora et de ses acolytes. Bientôt, ce fut la pagaille: celle que j’attendais! Hommes, femmes et enfants traversaient la place dans tous les sens. Le monde entassé autour des tramways, débordait de plus en plus vers notre alignement de prisonniers. Je n’avais que quelques pas à faire en retrait pour être mêlé à la troupe bruyante et désordonnée des Marseillais qui se pressaient autour de nous. Alors, un coup d’œil à ma droite où personne ne me surveillait, un coup d’œil à ma gauche où les policiers étaient occupés par leur fouille, et je reculais doucement, de façon à me trouver parmi les curieux. Encore une légère «marche arrière», et ma manœuvre était terminée. Je faisais maintenant partie de la foule. Qu’est-ce que je risquais dans cette masse grouillante? Un autre coup de pied au derrière? D’ailleurs je n’étais plus en danger, car j’avais déjà quitté les lieux. Manifestement, on ne remarquait plus mon absence. Mais il fallait agir vite et sans perdre la tête.

Alors je me dirigeais d’un pas rapide vers l’église des Réformés. De là j’ai couru à travers les rues qui montent vers la place Jean Jaurès. En trombe, j’ai parcouru la Place Notre-Dame-du-Mont, afin de gagner le cours Lieutaud et de descendre enfin la rue Puget, aujourd’hui rue Albert Chabanon, jusqu’au numéro 7 où se trouvait notre domicile. Mais pendant cette course effrénée, je me broyais littéralement les méninges, aux prises avec un problème que je devais résoudre en quelques minutes, c’est-à-dire avant l’arrivée de la Gestapo dans l’appartement.

Fallait-il que j’emporte dans un sac tous les documents compromettants, ainsi que diverses armes de l’AS pour m’échapper aussitôt vers le Maquis dont j’assurais périodiquement la liaison? Voilà une solution facile: celle que choisissaient en général les Résistants qui étaient activement recherchés par la police allemande. Ils s’en allaient ainsi en catastrophe vers le Maquis ou vers l’Espagne. C’était donc un peu le sauve-qui-peut, pour ne pas dire la panique! Mais en ce qui me concerne, la situation n’était pas du tout la même. C’est par hasard que j’étais tombé entre les mains des policiers allemands qui ne connaissaient nullement mon activité résistante, car celle-ci avait toujours été soigneusement cachée, de telle sorte qu’en cas d’arrestation du colonel Pétré, je pouvais représenter un dernier atout défensif et intervenir à mon tour, sans éveiller le moindre soupçon.

Enfin, une fuite définitive, en abandonnant l’appartement, n’était-elle pas un véritable aveu de culpabilité? Et surtout, une pareille conduite de ma part n’aurait-elle pas renforcé les soupçons qui pesaient terriblement sur le capitaine Pétré interrogé par la Gestapo? Non, il fallait à tout prix que je reste là, à mes risques et périls. Je devais essayer coûte que coûte, de jouer les innocents, c’est-à-dire le rôle du jeune neveu désemparé, puisqu’il allait se trouver seul à Marseille. Je pourrais être par exemple un étudiant absorbé par son travail et complètement dépassé par les événements actuels. Bref, une fois de plus, il faudrait que je me batte sans armes. Mais à présent, la bataille serait rude, car les gens de la Gestapo n'étaient pas précisément des enfants de cœur.

Tout en montant l’escalier quatre à quatre, nous habitions au deuxième étage, je me mettais dans la peau du jeune homme que j’allais devenir. Dans l’appartement, je ramassais en hâte les paperasses relatives à nos maquis, afin de les déposer, bien à plat, sous le large paillasson du palier. C’était plutôt sommaire! Mais je n’avais pas le choix, vu l’urgence. D’ailleurs, je savais par expérience, qu’en pareil cas, les cachettes les plus idiotes sont souvent les meilleures. Les pistolets qui avaient été glissés, avec leurs munitions, le long des bras de nos gros fauteuils, furent descendus à la cave de l’immeuble, et dispersés dans un tas de charbon. Il s’agissait d’une cave sans lumière, complètement vétuste, où l’on ne pouvait que s’éclairer à la bougie. Trempé de sueur, après m’être lavé les mains, je retirais ma veste pour enfiler une robe de chambre, et m’installer au bureau du salon, entouré d’une montagne de bouquins, comme si j’étais là depuis longtemps.

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  • : Biographie du Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Pétré, chef régional de l'Armée Secrète AS à Marseille. Archives de l'AS, de la déportation, de l'épuration. Campagne de France et Résistance durant la 2ème guerre mondiale.
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