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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 20:18

Ce chapitre contient les éléments suivants, tous consacrés au 141e RIA et à la campagne de 1939-1940 et publiés pendant la deuxième guerre mondiale, dans l’Alpin, bulletin de l’amicale de ce régiment :

+ Carnet de route de la 6e compagnie, 2e bataillon du 141e RIA, commandée par Jean Pétré.

+ Les journées des 16, 17 et 18 mai 1940 au PC du 141e RIA, par le colonel Granier.

+ La journée du 24 mai 1940 au PC du 141e RIA, par le colonel Granier.

+ Pensons-y toujours, par le capitaine Jean Pétré.

+ La journée du 7 juin 1940, discours du colonel Granier.

 

 

Carnet de route de la 6e compagnie,

2e bataillon du 141e RIA,

commandée par le

capitaine Jean Pétré

 

Publié dans l’Alpin du 141, bulletin de l’Amicale régimentaire du 141e RIA

du n°9 du 1er juin 1942 au n°21 du 1er juin 1943

  

 

Commandant de Buyer 1940Le capitaine Pétré en 1940 et le commandant de Buyer qui sera tué en juin 

 

 

 

La «drôle de guerre»


Nos débuts

C'est le dimanche 27 août 1939, que nous nous sommes rencontrés au lycée de la rue Thomas, à Marseille. La veille, l'affiche convoquant le fascicule n°5 avait paru. Rapidement, la 6e compagnie se forme, sous le commandement du capitaine Laurent, avec comme chefs de sections, les sous-lieutenants Lavaux, Sauer, Audibert et l'adjudant-chef Stéfani. Le 2e bataillon est commandé par le commandant de Buyer, avec, comme adjudant-major, le capitaine Pétré.

Le 1er septembre, nous apprenons l'entrée en guerre de l'Allemagne. Le lendemain, samedi, nous prenions le train à la gare des Abeilles, pour arriver le soir à Cannes-La Bocca.

Le dimanche 3 septembre, jour de la déclaration de guerre, nous continuions la série des «heureux» dimanches de notre histoire par la marche mémorable sur Châteauneuf-de-Grasse. A Châteauneuf, où nous pensions rester peu de temps, nous nous sommes, petit à petit, installés presque confortablement. Nous avons acquis notre entraînement à la marche en allant vers Grasse, vers Gourclon, vers les Gorges du Loup. Nous avons tiré à la Sarrée et manœuvré sur le terrain d'Opio. Et nous avons été heureux, malgré quelques frictions avec la population pour des histoires de cantonnement ou de... vendanges et aussi quelques incidents dus à des permissions trop «spontanées». On parlait d'«hiverner» là. Le 10 octobre, le capitaine Pétré prenait le commandement de la compagnie, et le sous-lieutenant Galy remplaçait le sous-lieutenant Audibert.

Et brusquement, le 18 octobre, nous prenions le train à Grasse, pour une destination évidemment «inconnue».

 

Sur le front de Lorraine

Donc, le 15 octobre, à 10 heures, nous quittions Grasse. Le soir, nous passions en gare de la Blancarde où de nombreux camarades ont pu voir leur famille. Le 19 au matin, nous étions à Lyon. Et le 20, nous débarquions à Arzwiller, la première gare après Sarrebourg, dans la Moselle. Une fraîcheur brusque et une petite pluie froide nous faisaient trop nettement sentir que nous avions changé de climat. On débarqua sous la pluie, en se mettant, rapidement, dans les bois, pour éviter l'aviation ennemie. Première sensation de guerre. Et c'est toujours sous la pluie que nous avons gagné notre cantonnement de Bourcheid, village triste, à la population rare et «fermée». Pluie, neige, froid et boue. La compagnie est cantonnée dans des granges. On entend le canon. On se fait à l'atmosphère. On fait de la DCA, des exercices de nuit, toujours sous la pluie.

Le vendredi 27, on apprend que le départ est imminent. Le lendemain, après avoir attendu de 16 heures à 20 heures sous la neige, au bord de la route, nous prenions les cars qui nous débarquaient le dimanche (ces dimanches!) à 2 heures du matin à Rohrbach.

Après un très court sommeil, il fallut aller reconnaître des positions à Singling, derrière la ligne Maginot. Nous y faisons connaissance avec la trop fameuse boue de Lorraine. Et à notre retour, à midi, nous apprenons que nous montons en ligne le soir même. De fait, après un court repos agrémenté d'une transformation «urgente» de nos masques, nous partons à 17 heures, lourdement chargés. La compagnie est conduite par le lieutenant Lavaux, le capitaine étant déjà parti reconnaître les positions. Longue marche dans la nuit. Nous dépassons Gros-Rederching où se trouve le PC du régiment. Nous arrivons, à travers champs, à la ferme de Moronville, tandis que, de partout, tonne le canon. C'est là qu'est le PC du bataillon. Le capitaine nous attend sur la route et guide la Compagnie, dans la nuit noire, vers les emplacements qu'il vient de reconnaître. II y a deux sections sur la position de résistance et deux sections en avant-postes dans le bois de Mittelbrück, à 1.200 mètres en avant de la PR. Le capitaine désigne les sections Lavaux et Sauer pour aller au Mittelbrück, où elles sont conduites par les guides du 121e RI que nous relevons.

La compagnie est encadrée, à gauche par la 7e, dans un bois, et à droite par le 55e. Il fallut, tout de suite, se mettre au travail pour construire les abris, creuser les emplacements de combat, camoufler les dépôts de munitions. Le capitaine ayant découvert une roulotte de berger, la fait camoufler dans une haie, s'y installe et fait construire un solide abri pour la section de commandement, sous la direction du caporal-chef Barnoin. Cette roulotte relativement confortable en première ligne, fait l'étonnement de tout le régiment. Tout le monde se souvient de ce paysage calme et triste, de ces horizons indéfinis, coupés vaguement par des bois lointains noyés de brouillard.

Et personne ne peut oublier —car tout le monde y est passé— les nuits du Mittelbriick, bois sinistre où l'ennemi rôdait, tiraillant pour affoler nos guetteurs, où nos sections étaient sous la perpétuelle menace d'un coup de main allemand, où il fallait être en alerte toute la nuit, sans espoir de secours immédiat. A notre droite, le bataillon du 55 passa plusieurs nuits agitées, avec repli des avant-postes, contre-attaques, bombardements. La 6 peut être fière de son attitude, toute de calme courage. Le capitaine dut, plusieurs fois, par des nuits mouvementées, rétablir lui-même la liaison, tandis qu'au Mittelbrück, les sections Lavaux, Galy, Sauer, Stéfani, magnifiques de cran, ne bougeaient pas d'une semelle et imperturbables, gardaient leurs positions. Notre compagnie a commencé là ce qui fait sa gloire; jamais la 6 n'a cédé un pouce de terrain sous la pression ennemie. Nous avons passé là trois semaines pleines. Et la 6 a «donné». Le lieutenant Lavaux, avec des volontaires de la compagnie, a fait les premières patrouilles chez l'ennemi, appuyé par le lieutenant Galy, par tous les temps, dans des conditions qui faisaient l'admiration de tous. La section Sauer fut la seule du régiment à aller deux fois en avant-poste au Mittelbrück. Nos sections ont été à la peine avant toutes les autres, qui les ont suivies aux avant-postes, et ont bénéficié de notre expérience acquise au prix de tant de souffrances.

Le 20, au soir, nous étions relevés par le 3e bataillon pour rejoindre Bining. Les deux sections du Mittelhrück partaient, avec le capitaine, à quatre heures du matin. A sept heures, un bombardement intense pilonnait les emplacements de la compagnie et le PC. Le lieutenant Lavaux, qui devait passer les consignes, écoutant son tempérament téméraire, quitta l'abri pour se rendre compte des raisons du bombardement. Il fut atteint par plusieurs éclats. Transporté à l'hôpital de Saint-Louis-Ies-Bitche, il mourut dans l'après-midi, en recommandant au lieutenant Gouyon de dire au capitaine que sa dernière pensée serait pour la 6. Le colonel Manhès en présence du général Duron, l'avait décoré de la Légion d'honneur. Ceux qui ont assisté à ses obsèques n'oublieront jamais l'intense émotion de cette cérémonie si simple où personne ne retenait ses larmes, tandis que les hommes de sa section, qui lui rendaient les honneurs, pleuraient en présentant les armes. Par décision du colonel, la 1er section de la 6 devint la «section Lavaux» et fut commandée par le sergent-chef Tanet (aujourd'hui aspirant), ami personnel de Lavaux. A Bining. nous avons cantonné dix jours, du 20 au 30 novembre. On s'y est reposé, la compagnie étant dans une rue que nous appelâmes tout de suite, la Sixième avenue.

Le jeudi 30, nous remontons en ligne (relevant le 1er bataillon. Le PC du bataillon est à la ferme de Brandeifingerhoff, et la 6 est au bois du Bliesbrück, avec, à droite, le Bois-Noir, le Schunnel et la ferme de Bellevue, trouée d'obus, tenus par la 5 et la 7, et à gauche, la IVe armée, avec laquelle nous avons l'honneur d'établir la liaison d'armées.

Nous avons passé là douze jours sombres, où il faisait nuit à quatre heures de l'après-midi, dans le froid, la boue, le gel. Dès le soleil couché, on ne voyait pas à un mètre devant soi. Fort heureusement, nous étions protégés, en avant, par un ruisseau encaissé, aux rives convenablement barbelées qui empêchaient toute surprise. Quelques patrouilles, dont celle du sergent-chef Tanet qui alla jusqu'au Brücker, révélèrent que l'ennemi n'avait aucune intention offensive. On s'enhardit jusqu'à faire du feu pour réchauffer les plats que nos muletiers apportaient jusqu'au PC. Mais la fatigue était si grande que l'on ne faisait qu'un repas par jour, et, dès cinq heures, à part les guetteurs, tout le monde était dans les trous. Bois sinistre qui ne nous a laissé que le souvenir de la boue, du froid, de la nuit… La relève vint, un soir, le 12 décembre. Nous étions relevés par des coloniaux. Nos guides, dirigés par Olmi, eurent toutes les peines du monde à rameuter les sections relevantes, par une nuit si noire qu’il fallait se tenir par le pan de la capote pour suivre. Le matin, nous étions à Bining, le 14 à Rahling, Lorentzen, Donfessel et Dimmeringen. Le 15, nous passions à Brulingen et Siewiler, le 16 à Zilling. Et cette fois, le village de Bourcheid nous parut sympathique. L'arrivée fut mémorable, à cause de la grande colère du capitaine qui découvrit Olmi, Allione et deux ou trois autres, dormant tranquillement, dans l'école, tandis que la compagnie attendait, sur la place, que les sections harassées, fussent conduites à leurs cantonnements.

Le lendemain, nous partions pour Garrebourg, en passant à Saint-Jean-de-Kourtzerode où était le PC du bataillon. Etape par beau temps, dans un paysage de neige, et qui fut pénible à la «grimpette» finale pour atteindre le plateau. Nous sommes restés à Garrebourg du 17 au 28 décembre. Séjour très agréable, qui nous procure les meilleurs souvenirs de notre guerre. La population était tout particulièrement affectueuse avec nous. Chacun était logé chez l'habitant, et nous y avons vécu une nuit de Noël magnifique. Dans ce village de Lorraine, on n'oubliera pas de sitôt les noëls provençaux chantés à la messe de minuit. Le réveillon fut très gai, et même familial pour la plupart. On avait «affecté» une compagnie par restaurant, et ce fut une gaieté saine, de belle camaraderie, d’autant mieux savourée que nous venions de passer de bien mauvais jours.

Nous avons passé ces dix jours en promenades dans les forêts, resplendissantes sous la neige et le givre. Le temps était doux, le soleil radieux. On jouait au football contre les artilleurs de la DCA Nous nous rappellerons toujours la silhouette pittoresque du vieux curé, accompagné de son chien Ali, un «cabot» hirsute et laid, mais affectueux au possible et que tout le monde caressait. A signaler ce dialogue surpris entre le curé et le commandant de Buyer qui lui disait avoir joué au bridge toute la nuit avec ses officiers:  —Et vous avez gagné? demanda le curé. —Non, j'ai perdu. Alors, le vieux curé, avec un sourire:Oh !... Ils ne sont pas polis!...»

Mais les meilleures choses ont une fin. Le 28 décembre, nous prenions le train à Lutzelbourg, pour une destination une fois de plus «inconnue». En souvenir du pays, nous emportions une grande charrette qui devait nous suivre fidèlement pendant de longs mois, en nous rendant les plus grands services, et que le capitaine eut toutes les peines du monde à garder, à cause de son pittoresque «non réglementaire».


Au repos

Le 29 décembre au soir, après un voyage plutôt froid et un retard considérable, nous arrivons, vers 23 heures, en gare de Chaïlvet-Ursel, dans l'Aisne, entre Laon et Soissons. Petite marche dans la nuit, sous un clair de lune magnifique, en traversant Chaillevois, où est le PC du Régiment, vers Lizy, où se trouve le PC du bataillon. La compagnie s'arrête à Merlieux-et-Fouquerolles, petit village sans attrait, et elle cantonne dans une grande ferme à un kilomètre de Merlieux, le Caquet. Dans ces lieux sans beauté, dans ce village sans distractions et aux habitants peu aimables, en cette saison particulièrement rigoureuse, nous sommes restés deux mois et demi. Et ce temps de «repos» n'est pas notre meilleur souvenir. Ce fut l'époque de l'ennui. Heureusement, il y avait du lapin dans le pays...

Les permissions s'accélèrent. Même le deuxième tour commence. Quelques changements de personnes. Le chef Tanet nous quitte pour un cours d'aspirants. Avec un renfort, en janvier, arrive l'adjudant Olive. Le sous-lieutenant Aubry prend la section Lavaux. Le général Didio est remplacé par le colonel Debeney. Le colonel Manhès est remplacé par le colonel Granier. Prises d'armes et décorations. Ce sont les premières Croix de guerre et la 6 tient le record de toutes les compagnies du régiment. C'est elle, qui, avec ses nouveaux décorés, fournit la garde du drapeau: Tanet, Gras, Blaya, Hélart, Pech.

Les lieutenants Galy et Sauer vont faire un stage au camp de Sissone. Le temps passe en longues marches, en chicanes avec la population à propos de stères de bois disparus «mystérieusement» (il fait 20 degrés au-dessous de 0 et les routes, verglassées, sont impraticables aux mulets), en exercices sur le plateau de Montarcène, balayé par un vent glacial.

Les cadres ne sont pas près d’oublier les critiques au château de Lizy où notre commandant, dans des raccourcis très vivants, comparait le fameux plateau à une pieuvre. De quoi, notre capitaine tira une fable qui fit le tour du régiment:

 

La Pieuvre et le Thème

 

Sur le plateau de Montarcène

Une pieuvre gîtait,

Ennemi du roc et le guérêt.

Mais, direz-vous, en cette plaine

Point de lac?

On a pourtant vu l’estomac,

Les tentacules,

La tête en virgule,

Les yeux en tréma,

Et coetera, et coetera…

On a vu, plus étrange chose,

Un phénomène d’endosmose

Qui pompait jusques au plateau

Casques, bérets, képis, manteaux,

Au point que, de suite, on pensa

Au décrochez-moi-ça.

Jeannot Lapin,

Quittant son thym,

Fuyait, éperdu, ventre à terre…

Que devient

Le monstre marin ?

Pour quel gros œuvre

Etait là cette pieuvre ?

Point ne vous le dirai.

C’est le secret

De Monsieur de Buyer.

 

Moralité

 

Anathème

Sur le thème !

 

Et le 11 mars, sans grand regret, nous reprenions le train de Chailvet, pour une autre destination «inconnue». Quelques jours avant le départ, le sous-lieutenant Toubas a remplacé le sous-lieutenant Aubry. Mais il sera muté à la 7 peu après. C’est le sergent-chef Laporte qui commandera la «section Lavaux» dans les Vosges, où nous allons.

 

Dans les Basses-Vosges

Malgré l’espoir qu’avaient quelques-uns d’être dirigés sur le front des Alpes, c’est à Sarrebourg que nous nous retrouvions le lendemain matin. On débarqua à Otterswiller, et par Marmoutier, nous avons gagné notre premier cantonnement de Westhausen. Le 15, nous étions à Obersoulzbach après une longue marche dasn un joli paysage ensoleillé d’Alsace, si gai avec ses champs verts, ses villages clairs, ses collines boisées.

Nous avons cantonné à Obersoulzbach jusqu’au 22 mars. Agréable séjour, calme et reposant, parmi une population aimable. C’était pour nous une Alsace d’images d’Epinal, avec les costumes bien connus, les femmes aux grands nœuds noirs, les hommes aux gilets rouges, qu’on voyait le dimanche, sortir du temple.

Le 23, nous faisions étape pour Lichtenbertg. Nous passons le jour de Pâques dans ce village pittoresque, dominé par un vieux château-fort. Le lundi de Pâques, nous gagnons Phillipsbourg, et le 26, nous sommes de nouveau en ligne au nord de la ligne Maginot. A 20 heures, nous relevons le 97e RI qui est là depuis des mois. On nous assure que le secteur est calme, même agréable! Le fait est que le paysage est ravissant. Un lac allongé parmi les sapins, des collines vertes, des fermes qui ont l’air de villas. C’est tout autre chose que la désolation des grands espaces de Moronville.

Le PC du bataillon est dans une grande maison près du lac: Langweiler. Le PC de la compagnie dans une maison forestière au bord de l’eau: Klumpenhoff. Nous passons le temps à travailler frme pour la mise en défense de la vallée. Nous aidons le génie au bétonnage. Nous posons les barbelés. Mais ici, c’est autre chose qu’à Moronville : il s’agit de kilomètres de réseaux, sur cinq panneaux. On en pose partout, jusque dans l’eau du lac. Plusieurs de nos camarades font partie du groupe franc commandé par le sous-lieutenant Joos, et accompagnent les corvées de ravitaillement qui vont aux avant-postes. La 6 reste ainsi, en réserve de bataillon, jusqu’au 10 avril. La section Galy travaille à deux kilomètres en avant, dans les bois du Kolberg. La section Laporte grimpe tous les matins sur les hauteurs, accompagnée par un lieutenant polonais qui fait un stage à la compagnie. La section Sauer et la section Stéfani «bouffent» du barbelé du matin au soir.

Puis nous relevons la 5 à Sturzelbroon, joli village très abîmé par les destructions du génie. En l’absence momentanée du lieutenant Sauer, l’adjudant Olive prend le commandement de sa section et la compagnie prend les avant-postes, à la côte 330, à Muhlenbach et à Dauenthal. Il faut une heure de marche pour aller aux avant-postes, par des chemins dans les bois, où l’ennemi patrouille abondamment. Au point que le commandant interdit au capitaine d’aller voir ses sections autrement qu’avec le ravitaillement, qu’on ne faisait que tous les deux jours. Heureusement, il y a une liaison téléphonique qui marche bien. Malgré la présence de l’ennemi et quelques escarmouches, les sections en avant-postes ont coulé des jours heureux, grâce d’ailleurs à une surveillance constante.

On donne comme authentique la conversation suivante surprise au téléphone, entre deux avant-postes. Le lieutenant Pontal, de la 5, téléphone au lieutenant Galy, à la côte 330.

—Dis donc, Galy, je m’emm… Si tu avais quelque chose à lire, tu pourrais m’envoyer des bouquins par le ravitaillement.

—Tu sais, je n’ai pas grand-chose ici. Je n’ai que le Nouveau testament.

—De Sacha Guitry?

—Non… l’autre!

—Quel autre?

Mais chacun sait que l’abbé Galy ne s’épate de rien.

Nous eûmes à déplorer la blessure très grave du caporal Dorvé qui, ayant sauté sur une mine, perdit une jambe et un oeil. Le régiment fut endeuillé par la mort du lieutenant Costes, victime lui aussi d’une mine.

Le temps passait assez calmement. Nous suivions distraitement les évènements de Norvège. Brusquement, nous apprenons que nous sommes destinés à un «théâtre d’opérations extérieures». Le 55 vient nous relever. Et le samedi 20 avril, au soir, les éléments de la PR sont en route pour Barenthal. Les avant-postes sont relevés le dimanche matin et rejoignent, en camions, à Bicholtz.

Dès le lendemain, par une prise d'armes, nous faisions nos adieux à la 30e DI que nous quittions pour faire partie de la 3e division légère d'infanterie. Le jour même, le capitaine nous remet notre nouveau fanion qui, dit-il, sera notre porte-bonheur pour les jours difficiles qui nous attendent. Quelques camarades nous quittent le sergent-chef Lavigne, notre comptable, le sergent-chef Perrier, notre “muletier en chef” et une dizaine d'“inaptes”. Et nous perdons nos chers mulets qui nous ont rendu tant de services. Nous cessons d'avoir une «formation alpine». Et les muletiers sont versés dans les sections. Nous recevons l'aspirant Grillet qui remplace l'adjudant-chef Stéfani, promu sous-lieutenant et muté à la 5. Le 23 avril, à peine trois jours après avoir quitté les lignes, nous prenons le train à Ingwiller.

 

En Bretagne

Après avoir passé à Montier-en-Dier, à Montereau, à Parthenay, puis à Rennes et à Morlaix, nous arrivons en gare de Landivisiau, dans le Finistère, le 25 avril. Nous y passons quatre jours, parmi une population très sympathique. Mais comme nous y touchons la prime de combat, elle passe dans les nombreux bistrots de la petite ville, et il y a des soirs mouvementés. Le sous-lieutenant Ramel vient remplacer l'aspirant Grillet, l'adjudant Olive prend définitivement le commandement de la «section Lavaux», et le sergent-chef Laporte rejoint la SES qui, de retour des Alpes, nous passe le sergent-chef Disdier. La compagnie se trouve, ainsi, formée pour les semaines pénibles que nous aurons à vivre ensemble et dont, à ce moment, nous sommes loin de nous douter. Le 29, nous gagnons Plounéventer, village typiquement breton qui doit être notre dernier cantonnement avant de nous embarquer pour la Norvège. Nous touchons le matériel spécial, les beaux souliers, les peaux de mouton. et les nouveaux fusils. Au dernier moment, le départ est différé. Le colonel obtient d'envoyer en permission de cinq jours tous ceux qui n'ont pas bénéficié du second tour, soit, chez nous, la moitié de l'effectif. Le capitaine lui-même part, et le lieutenant Galy prend le commandement de la compagnie jusqu'à son retour. Ceux qui restent jouissent d'un printemps délicieux, dans un pays fort joli et gai, parmi une population aimable. On visite les environs et même Brest. Et chacun s'extasie sur le concours extraordinaire de circonstances qui nous fait «faire la guerre» en Bretagne, et dans de si agréables conditions. Mais le 10 mai, la nouvelle de l'invasion de la Belgique nous fait comprendre que les beaux jours sont comptés. Le bruit court qu'il ne s'agit plus de Norvège, mais du Nord de la France. Nous pensions, tout de même, attendre les permissionnaires, mais nous sommes étonnés d'apprendre, le 13, que nous partons le 16. Le capitaine rentre, rappelé par télégramme. Le 16 mai, au soir, après une étape à pied, nous prenons le train à Landerneau, pour une nouvelle destination «inconnue». On parle de Creil, dans l'Oise...

Ainsi finissait, pour nous, ce qu'on a appelé «la drôle de guerre» qui n'avait pas été si «drôle» que çà pour ceux qui l'avaient effectivement vécue et qui, dans la souffrance commune, nous avait permis de nous connaître, d'avoir confiance les uns dans les autres, de nous aimer fraternellement. Ces mois passés ensemble, nous mettaient dans les meilleures conditions pour affronter la «vraie guerre».

 

 

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  • : Colonel Pétré, la Résistance à Marseille
  • : Biographie du Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Pétré, chef régional de l'Armée Secrète AS à Marseille. Archives de l'AS, de la déportation, de l'épuration. Campagne de France et Résistance durant la 2ème guerre mondiale.
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